Ne pas avoir de job fixe la journée avait permis à William de préparer la soirée parfaite. Ni trop romantique ni trop amicale. La bonne dose de chacun de ces deux sentiments contradictoires qu'il ressentait pour Camilla, afin d'embrouiller sa conscience un peu plus, tel était son plan. Will fonctionnait comme ça, par objectifs. Il en allait ainsi pour son plan de rapprocher Sean avec sa coloc, mais également pour celui consistant à séparer Camilla de son fiancé inutile. Pourquoi ? Parce que la jeune femme méritait une putain de relation passionnelle, du moins c'est ainsi que Will se persuadait. Peut-être aussi parce que draguer une femme à moitié prise était un challenge très excitant. Oui, William excellait dans la peinture, mais également dans l'art de se leurrer l'esprit. Hors de question pour lui d'admettre que Camilla ne le laissait pas indifférent. Elle l'attirait, physiquement. Point final.

Avec un tel manque d'objectivité, organiser leur soirée releva vite de la mission impossible. Il passa une longue heure dans le magasin, à choisir avec précaution des bougies, avant de les reposer. Il n'hésita pas sur l'alcool, par contre. Du champagne, beaucoup. Il en buvait rarement, mais Camilla était de ces femmes sophistiquées qu'on ne peut pas attraper avec des shots de vodka ou des bières bas de gamme. Au pire, il avait des bouteilles de secours au placard. Quant au repas, il préférait largement esquiver cette étape. William ne considérait pas la nourriture comme une nécessité absolue. Principalement parce qu'il possédait rarement de quoi manger dans sa cuisine. Chaque matin, il se surprenait à ouvrir le placard d'un air somnolent, oubliant à chaque fois qu'il n'avait pas acheté de céréales. Il ne se fatiguait pas à se noter d'en acheter, il ne vivait pas ainsi. Mais cette façon dont il espérait pourtant, chaque matin, trouver un paquet par surprise restait un mystère. Pour Camilla, il décida de passer derrière les fourneaux. Rien de trop extravagants, pour rappel il voulait simplement la séduire, une nuit, ou plus, mais pas toute la vie. Il souhaitait virer son fiancé en carton, pas le remplacer. Il ne croyait pas en l'amour, cette invention des astrologues et des scénaristes de mauvaises séries télé. Mais il comprenait que certains fonctionnaient à ça, à ce sentiment fort ressenti pour quelqu'un qui vous aime en retour. Chacun son moteur dans la vie. Will, lui, se contentait de son paquet de cigarettes pour se motiver tout au long de la journée. Chacun sa came. Quoi de mieux pour dire "je te veux mais pas trop" qu'une pizza maison ? La pizza indiquait clairement le manque d'implication trop élaboré dans la soirée. Mais le maison montrait son envie de bien faire. Elle n'était pas comme les autres, elle avait droit à un petit effort. A un effort surhumain, en vrai, William n'utilisait jamais sa cuisine. Il passa une demi heure à comprendre en vain comment fonctionnait le four. Heureusement, il comprit plus rapidement comment dérouler la pâte et la garnir de tout ce qu'il aimait. Il réalisait que, faire ses propres pizzas lui permettait un choix de garniture illimité. Bien mieux que devoir choisir sur une carte imposée. Malheureusement, il ne se voilait pas la face : il reviendrait bien vite à sa solution de facilité. Une fois la pizza dans le four, il jeta un regard circulaire sur le salon qu'il avait rangé durant tout l'après midi. Il reconnaissait à peine son appart. Une musique d'ambiance s'échappait de la chaîne hifi, quelques lampes tamisées éclairaient la pièce et le champagne les attendait dans le congélateur. Oh Camilla ne savait vraiment pas ce qui l'attendait. Il se regarda une dernière fois dans le miroir et se lança son regard irrésistible qui faisait fondre toutes les femmes. Elle avait toujours cet air, mi attendri mi excité, qu'il lisait dans leur sourire pincé un peu gêné. Et c'est ce même regard qu'il lui lança en ouvrant la porte. « hey love, juste à l'heure, vas-y entre » Il dégagea l'entrée et l'invita à entrer. « Fais comme chez toi, je reviens tout de suite » Il lui indiqua le sofa puis s'absenta pour prendre deux coupes et la bouteille. Il la déboucha avec habileté puis remplit les deux coupes et lui en tendit une. Il prit bien sûr place à côté d'elle. « Santé ! Attention regarde moi bien dans les yeux sinon c'est sept ans de malheur ! » Il trinqua avec elle en la scrutant droit dans les yeux, sûr de lui, comme toujours.

William détestait ce sentiment de nervosité qui l'envahissait. Dès qu'il s'agissait de Camilla, il avait l'impression de perdre sa confiance et son assurance légendaires. Comme si, auprès d'elle, il ne se trouvait pas assez bien. Elle était différente des autres filles. Pourtant, il savait qu'il valait largement mieux que son faux fiancé qui n'était même pas fichu de la rendre heureuse. Comment il le savait ? Simplement, si elle était heureuse dans son couple, vous croyez qu'elle mettrait autant d'attention à se préparer et se ferait aussi canon pour une soirée avec son voisin ? Au moins, Will était certain d'une chose : les pensées qu'elle éprouvait pour lui était aussi désordonnées que les siennes. Il trinqua avec elle et sourit un peu trop en l'entendant rire. Elle ne riait pas comme les autres filles. « Tu as bien raison, toutes les filles n'ont pas droit au champagne ! Mais tu n'es pas comme les autres filles » Il lui sourit, se reprochant intérieurement son besoin insupportable de se vanter à propos de ses conquêtes. Ce besoin de rappeler qu'il aimait les femmes, pas une en particulier. Ce refus d'admettre qu'en sa présence son coeur battait différemment, sa tête pensait différemment. Il s'installa confortablement dans son canapé, essayant de se détendre. Pourtant, cette soirée semblait représenter tellement, dans leur relation. Camilla avançait dans ses fiançailles, amenuisant chaque jour les chances qu'il avait de la faire renoncer. Cette soirée sonnait comme un Now or Never. Et il ne voulait vraiment pas rater. Mais il devait arrêter de douter de lui, il avait dragué plus d'une fille, fait fondre tant de coeurs et de corps, il n'allait pas rater devant une qui comptait un peu plus. Pour ne pas dire qui comptait vraiment, car il refusait toujours de l'admettre. Probablement son égo, et puis ... pour se consoler plus facilement, si jamais il échouait. William considérait l'échec, lui qui n'échouait jamais. Diable, mais quel effet avait-elle sur lui ...

« C'est vrai, je ne te vois plus depuis que tu n'habites plus seule » Premier pic lancé, il ne se gênait pas pour entrer dans le vif du sujet. « Je vais bien, tu sais, la même routine, le boulot. J'ai reçu un appel quelqu'un est intéressé par une de mes toiles qui est toujours exposée à la galerie. » Will avait déjà parlé largement de son travail à Camilla, il aimait sa passion et puis, il savait qu'une âme d'artiste plaisait aux femmes. Par contre, elle n'était toujours pas au courant de son job de nuit. Il la gardait un peu comme sa botte secrète, la dernière carte à sortir. « Et toi, comment vas-tu ? En plein dans les préparatifs de mariage je suppose ? »

William entrait en jeu, directement et sans attendre. D'abord, lui faire comprendre qu'elle n'était pas la seule. Puis, la faire culpabiliser. Seulement plus tard la complimenter. Elle n'était pas comme les autres, elle connaissait déjà son côté artiste, ses origines italiennes ... tous ces atouts qu'il utilisait si souvent auprès des femmes. Au moins, la victoire serait d'autant plus grande. Mais là encore, Camilla n'était pas comme les autres, quand il avançait d'un pas en avant il ressentait aussitôt le besoin de reculer de trois. Car être trop proche d'elle l'effrayait. Elle avait un drôle d'effet sur lui, il était trop prudent pour le nier. Comme si lui ouvrir son lit signifiait également lui ouvrir son coeur. Très très mauvaise idée. William ne croyait pas en l'amour et en toutes ces idioties servies à la soupe dans les comédies romantiques et séries drama qui tournaient en boucle à la télé. Elles n'étaient bonnes qu'à implanter des rêves utopiques dans la têtes des femmes. Et hors de question de changer d'avis. Pourtant, il ne put s'empêcher de sourire, étonnamment satisfait, quand Camilla lui révéla la jalousie de son fiancé. Alors Owen avait peur de lui, il avait intérêt. Will ne lui fit pas l'affront de demander ce qui animait sa jalousie, il l'avait suffisamment provoquée depuis le début. « On a intérêt à bien profiter de cette soirée alors ! » lança-t-il d'un air innocent qui en disait long, avant de boire une nouvelle gorgée de sa coupe.

Il rit gentiment devant la naïveté de la jeune femme. Elle pensait réellement qu'il était capable de vivre de son art, il en fut touché. Malheureusement, la réalité était tout autre. Son emploi de nuit était un des rares aspects de sa vie que Camilla ne connaissait pas encore. Il hésitait toujours sur le moment où lui révéler. Avouer son métier de stripteaseur avait souvent un effet décisif sur ses conquêtes potentielles. Il ne comptait plus les fois où "tu me dessines ?" était vite devenu "ah nan finalement, tu me fais un striptease ?". Il n'en attendait pas moins de Camilla ce soir. Elle était plutôt discrète et probablement un peu prude, mais il soupçonnait également que son fiancé ne la comblait pas totalement. Sinon, que ferait-elle ici ce soir ? Il n'était définitivement pas la seule personne avec qui elle pouvait passer la soirée, il n'était pas dupe. Alors, le début de soirée était bien trop tôt pour s'adonner à la confidence. « Si seulement je pouvais en vivre, Cami, si seulement ... Je vais chercher la pizza ! » enchaina-t-il afin d'empêcher d'autres questions.

Il revint avec sa pizza, tout fier de son oeuvre. Elle n'était pas cramée et semblait même mangeable, un exploit. Alors qu'il la coupait, il questionna la jeune femme à propos de son mariage. Il manqua de se couper quand il apprit la nouvelle. Une année, il disposait d'une année supplémentaire, fut la première pensée qu'il traversa son esprit. Etait-elle certaine que 365 jours l'aideraient à s'habituer à la vie qui l'attendait, ou cherchait-elle simplement à repousser l'inévitable ? « Te préparer à quoi, exactement ? A passer ta vie avec un homme que tu n'as même pas choisi ? » "et que tu n'aimes même pas", évita-t-il de rajouter. Pourtant, ça crevait les yeux. Mais il ne voulait pas la brusquer. Il eut de la peine pour elle, un instant. Elle était une fille à papa qui profitait d'un joli train de vie, mais à quel prix ? « Tiens, attention la pizza est encore chaude. Je l'ai préparé moi même ! » confia-t-il, non sans une once de fierté, en lui tendant son assiette. Il retrouva sa place à côté d'elle et attendit son avis à propos du plat.

William était tellement fier de sa pizza qu'il aurait pu en parler durant des heures. Il avait réussi à cuisiner, il avait compris comment fonctionnait son four et avait découvert que quand on met des tomates dans ce récipient qui va sur le feu, elles finissent par se transformer en sauce, sans qu'il ait trop compris comment. Et en plus c'était bon ! Il ne précisa pas toute l'aide qu'il avait pu demander pour mener à bien cet exploit. Il avait posé de nombreuses questions aux pizzaïolos du boulot de Flynn, afin de savoir comment ils s'y prenaient. Ajouté à ça quelques coups de mains de certaines amies douées en cuisine - qu'il remercia gentiment et intimement ensuite - et sa pizza était née. Mais il ne voulait pas que Camilla sache toute l'implication qu'il avait accordé à cette soirée, il devait passer pour quelqu'un qui cuisine occasionnellement quand ça en vaut la peine. Même si, en connaissant Will un minimum, on ne pouvait pas y croire une seconde. Quand il avait expliqué son plan à Sean, ce dernier avait explosé de rire, vexant Will au possible. Il était donc d'autant plus fier.

Le discours de la jeune femme le mettait hors de lui. Il ne comprenait pas comment elle pouvait accepter le plan qu'on avait décidé pour elle. Elle était le maître de sa vie, le capitaine de son destin. Pas une spectatrice qui aurait juste le choix de sa robe de mariée. Mais pas de l'homme à ses côtés sur l'autel. « T'as pas envie de leur dire "merde, allez vous faire foutre, je n'ai pas envie de passer ma vie avec un homme que je n'aime pas et que je n'ai pas choisi" ? » Son histoire était digne d'une série niaise qui passait sur ABC, que Will regardait parfois en fumant des joints parce que ça les rendait bien plus cool. Il ne pensait même pas qu'un tel drama pouvait exister, dans la vraie vie. Encore moins de l'autre côté de son palier. Il réfléchit un peu à tout ce que ces séries avaient pu lui apprendre. Malheureusement il ne pouvait demander l'aide ni d'Olivia Pope, ni d'Annalise Keating. De toute façon, Camilla ne semblait pas être très enclin à s'étaler sur ce sujet. En fait, cette soirée lui servait probablement à oublier, juste pour quelques heures, le destin qu'elle devait embrasser. « Oh Oh, bien sûr j'ai beaucoup d'autres talents, je t'en montrerai d'autres si tu es sage » Il lui fit un ptit clin d'oeil et remplit à nouveau leurs verres. « Déjà une bouteille de terminée, mon dieu Camilla Hamilton vous sirotez le champagne comme de la grenadine !! » Il éclata de rire et alla chercher une autre bouteille. Il commençait également à sentir les effets de l'alcool, le champagne lui montait toujours à la tête. Car il n'était pas habitué à cette boisson haut de gamme, ça n'était pas sa came, pas son monde. « Ahah, tu dis ça comme si tu étais surprise ! Je ne regrette pas non plus de t'avoir invité, dire que j'aurais pu être simplement en boîte pour danser toute la nuit ce soir, quelle banalité » Camilla ne comprendrait probablement pas ce qu'il voulait dire réellement par danser toute la nuit. Il avait dû demander un jour de congé pour cette soirée, ou du moins une nuit de congé. Un concept que peu de gens comprenaient. Mais il ne pouvait pas encore lui en parler.